De Georges Drano "Vent dominant", octobre 2014, ed. Rougerie
Le voleur de vent
Il cherchait le vent dans les plus petits
détails du paysage, il l'attendait au coin des
bois,le guettait derrière les murs et les haies,
le suivait le long des ruelles. Il soulevait les
pierres du chemin pour le surprendre.
Il voulait rabattre derrière lui le moindre
courant d'air, recueillir le plus petit
frémissement qu'il sentait battre dans les
feuillages. Le bruissement des herbes au
bord des fossés faisait naître en lui le désir
de tout emporter.
Une fois reconnu, il savait garder le vent sur
lui, dissimulé dans les doublures de ses
vêtements ou confondu avec les plis d'une
écharpe. Loin des regards, il l'agrafait parfois
entre deux feuilles de papier et serré sous
son bras il l'emportait vers un lieu sûr.
Là, il le déposait devant lui et d'une main
dessus une main dessous il savait en saisir
les formes et les mouvements, en retenir les
contours et déchirures.
Il recevait les coups, les rafales, les
bourrasques, il les sentait vibrer en lui.
Il reconnaissait enfin les saveurs d'un vent
sans mémoire qui passe d'une parole à l'autre
sans jamais rêver de sa chute.
(A Philippe Jaminet)